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9/11

Entretien d’Anne-Laure Chamboissier avec Benoît Fougeirol

1- Tu as été invité à réaliser un projet in situ à la Chartreuse du Liget . Qu’est ce qui a sus-cité chez toi l’intérêt pour ce lieu ?

Ma première rencontre avec la Chartreuse du Liget s’est faite à travers une photographie en noir et blanc que tu m’as transmise, une vue d’architecture des vestiges de l’église de la Chartreuse. Cet édifice sans toiture, altéré par le temps et légèrement enterré dans le site m’a fortement impressionné. Le haut des murs était parsemé de plantes sauvages et l’ensemble se révélait dans l’image comme une architecture fantastique. J’ai perçu cette photographie comme une porte d’entrée, une ouverture sur un lieu en résonance avec sa géographie, le temps et l’histoire.

2. Tu y as séjourné en résidence à plusieurs périodes, comment ces temps sont-ils venus nourrir ton projet ?

Les séjours à la Chartreuse ont été des moments privilégiés. Pouvoir s’imprégner d’un territoire choisi par des moines au XIIeme siècle pour y établir leur lieu de vie et de méditation n’est pas rien. La topographie qui s’étend du creux d’un vallon à la lisière de la forêt de Loches est une situation silencieuse et inspirante. Une résidence c’est aussi la rencontre avec les hôtes qui incarnent à travers les moments partagés l’histoire passée et le présent, un grand écart entre la généalogie et les préoccupations contemporaines. Ce contexte nourrit à sa manière le projet et s’associe au cheminement, à la découverte du site qui pour ma part s’est accompagnée d’une lente exploration photographique. Ces différents séjours m’ont aussi donné la chance de découvrir le fond de livres anciens de la médiathèque de Loches où sont conservés les manuscrits des moines du Liget. La rencontre avec ce lieu dédié à la conservation a été là encore un moment très privilégié. La conservatrice a facilité les recherches, partagé ses connaissances et m’a permis de travailler sur place en toute confiance.

3- Depuis plusieurs années dans ton travail, tu aimes arpenter de manière extrêmement méthodique des territoires géographiques/topographiques multiples. Récemment, tu t’es concentré sur des zones urbaines, dites « sensibles ». La chartreuse en est l’antithèse. De quelle manière, t’en es-tu emparé ?. Il me semble qu’a nouveau, tu déploies une forme d’inventaire photographique d’un lieu , ou réalité du sujet et poétique se mêlent dans tes clichés ?

Même s’ils paraissent antinomiques, les grands ensembles et un lieu patrimonial comme la Chartreuse partagent la notion d’habiter qui est d’ailleurs au cœur ta programmation. Il y a aussi des questions communes qui traversent ces territoires, liées à la mémoire, à l’histoire “sourde” des lieux, aux traces qui émergent de l’architecture et de son altération. Pour les zones urbaines sensibles, la dimension politique du projet est portée par la situation d’exclusion vécue par les habitants. De la confrontation des photographies avec les documents administratifs ont émergé des questions liées au point de vue et à la représentation. À la Chartreuse l’habiter m’a guidé à travers l’exploration du fond ancien des moines copistes du Liget, à la découverte d’un herbier du XVIIIeme siècle réalisé par un des moines. Les plantes sauvages dressées en haut des murs de l’église trouvaient là un écho qui allait diriger mes re-cherches vers les traces d’ornementations et d’écritures présentes dans les manuscrits mais aussi dans les murs et les éléments qui constituent le site, une sorte d’archéologie pour archi-ver des formes et des rapports de formes.
Dans un contexte comme dans l’autre, dans les (Zus) ou à la Chartreuse, il me semble travailler avec la même distances aux choses, une distance qui pourrait induire que ce n’est pas tant la chose regardée que la manière de regarder qui importe. L’écart que tu évoques entre réalité du sujet et poétique participe de ce travail.

4- Par la nature des œuvres que tu nous donnes à voir, n’es tu pas plutôt à la recherche de ce qu’a été ce lieu monastique, les traces cachées qui y résident encore, par l’évocation plutôt que l’illustration prosaïque de ce que ce lieu est devenu ?

La mémoire d’un lieu convoque le passé et questionne notre rapport au réel quand on interprète ses traces, qu’on y effectue des choix qui fabriquent du sens par analogies, écarts ou ruptures. À la Chartreuse du Liget les moines ont vécu une relation étroite entre nature et écriture.

La nature apportait protection et subsistance, un cadre de vie propice au développement du “Désert cartusien”, quand l’écriture entretenait un lien à la connaissance dans sa dimension la plus universelle, de la théologie, aux sciences, à l’histoire. Qu’elles soient archivées dans les pages d’un manuscrit ou qu’elles apparaissent dans la topographie des lieux, les traces renvoient à des expériences. Le projet chemine avec le végétal, à travers l’ornementation, l’architecture et l’écriture.

5- Pourquoi as-tu choisi ce titre Livre des plentes ? Qu’est ce qui justifie la façon dont tu l’exposes ? Et quelle est la ténuité du rapport que tu entretiens en général avec l’objet livre ?

Aborder le territoire à travers des questions liées à la botanique est récurent dans mon travail, cela a influencé mon regard dès la première rencontre avec l’image en noir et blanc que j’ai évoquée. Je n’imaginais pas que l’histoire du monastère des Chartreux rendrait possible la dé-couverte d’un l’herbier. C’est un ouvrage unique et fragile, d’une grande simplicité, qui m’a profondément touché. Quelques fautes d’orthographe se répètent au long des déterminations, dont la plus remarquable est celle qui s’est glissée dans le titre de cette collection Livre des plentes. J’ai emprunté ce titre dont les qualités poétiques résonnaient intimement avec le pro-jet. C’était aussi une manière de ramener l’album à son lieu d’origine. Les photographies que j’ai réalisées tiennent plus du fragment, du détail, d’une matérialité, de traces de plantes que d’une description de l’album.
D’une manière générale j’aime être entouré de livres, ce qui m’a sûrement conduit à la bibliothèque des Chartreux. Le lien qui unit ou relit les livres que l’on choisi est précis et subtil, mais demande parfois du temps pour être manifeste. Il m’arrive souvent d’acheter un livre mais de l’ouvrir, le parcourir ou le lire beaucoup plus tard, je suis toujours surpris par ce moment qui prend souvent la forme d’une évidence, comme s’il y avait une latence inhérente à la rencontre de chaque livre.