English | français
/ Accueil   / Focus _   / Entretiens  
Facebook
‹‹‹

10/11

Entretien d’Anne-Laure Chamboissier avec Charles le Hyaric

1- Dans le cadre de la programmation Habiter le lieu , tu redéploies la pièce Peulven, conçue en 2014, au château de Valmer. Qu’est ce qui a suscité chez toi l’intérêt pour ce lieu ?

Plusieurs choses. Tout d’abord son histoire vieille de 500 ans, la présence du Château disparu, la chapelle troglodytique, la disposition du lieu en plusieurs terrasses peut être esquissées par un certain Léonard de Vinci… Des gargouilles qui sortent des murs quand on se promène dans le douves. C’est un endroit magique, son âme est très présente.
Et surtout que le lieu continu à vivre, grâce à la force et l’énergie de la Comtesse de Saint Venant. Son emprunte est très forte. Nous ne sommes pas dans un vestiges d’un temps qui s’est arrêté, mais dans un espace qui continu d’exister.

2- La réalisation d’oeuvres in situ est récurrent dans ton travail. Ici, il ne s’agit pas véritablement d’une nouvelle création in situ puisque tu redéploies cette oeuvre sous une autre configuration, mais comment as tu conçu cela ? Est ce pour toi une façon de lui donner une nouvelle vie ?

Oui, mon travail cherche toujours à s’inscrire en cohésion avec le lieu. Au château de Valmer, je souhaite interagir avec la fontaine du bassin située dans le potager. L’eau va épouser les formes organiques de chaque morceaux que constitue l’oeuvre. Comme souvent dans la mise en place de mes pièces in situ, j’ai des intuitions, mais c’est au moment où je suis confronté avec la réalité des éléments que la pièce prend définitivement sa forme et sa façon d’exister. Il y a toujours de l’imprévu , c’est ce qui rend ce type de projet stimulant. Il faut savoir écouter le lieux et accepter de ne pas toujours tout contrôler. Il faut trouver la juste mesure. Il se peut que l’interaction de l’eau avec la céramique donne vie à de l’apparition végétale, que le son de l’eau sur la sculpture crée ce que j’appelle un paysage sonore. Le miroir de l’eau va également créer un jeu plastique. Il faut trouver une harmonie faite de plusieurs liens pour que la sculpture puisse trouver une existence sensible et singulière.

3- Et pourquoi avoir choisi précisément cet espace du potager ? Et comment dialogue t-elle alors avec l’espace environnant ?

Après avoir visité le site, plusieurs possibilités étaient envisageables. Mais il m’est vite paru certain que le potager et notamment le bassin situé dans l’allée centrale était l’emplacement idéal. Peulven ( menhir en Breuton) est une sculpture qui reprend la silhouette d’un menhir, il se dresse de façon verticale dans le paysage et crée un lien entre le monde de la terre et l’au delà, un lien avec l’histoire du lieu et des hommes qui l’on habité. Sa symbolique ouvre les portes d’un monde métaphysique, il invoque des spectres, un ailleurs à la fois passé et présent, ici et autre part. Sa forme organique va, je l’espère, jouer le plus possible avec le monde vivant du potager,. Je veux qu’il soit ancré dans le lieux , comme si la pièce était là depuis toujours et en même temps que le spectateur se questionne sur son origine, sa signification.
Ce qui m’intéresse également c’est de ne pas dévoiler la pièce directement lorsqu’on arrive sur les lieux. Les plans ont été constitués de tel sorte que le dernier palier, celui du potager, ne soit pas visible du point le plus haut. La pièce s’invite au domaine de Valmer avec une certaine discrétion.

4- Dans cette sculpture se joue à la fois quelques chose de brute et organique, mais aussi d’une forme de préciosité, comment concilies-tu ces deux aspects qui peuvent paraître antagoniques ?

Exactement. Ce sont des termes récurrents dans mon travail. Je cherche toujours un juste équilibre entre une certaine préciosité, une apparence délicate et un procédé, une action plus brute, plus primitive. Je dis souvent que les points de tension qui habitent le coeur de mon travail sont la dualité entre nature et culture, pensée et instinct. Pour Peulven chaque fragment est réalisé de façon très brutale et très délicate. Je prends un morceaux d’argile et je le claque sur le sol afin d’obtenir une forme plane. Ce geste est très précis, il faut un peu de temps pour le maîtriser car l’argile est très sensible, et la terre peut se déchirer très facilement. Et lorsque le morceaux c’est fissuré vous ne pouvez plus le réutiliser, sinon il y a de forte chance qu’il éclate lors de la cuisson, notamment à cause des bulles d’air. Une fois la forme plate obtenue, je la jette et crée une forme la plus fluide possible. C’est là toute la contradiction et la magie de cette matière.
Ensuite je n’y touche plus et je la laisse séchée, puis je la fais cuire. Je répète donc ce geste sur chaque fragment, créant ainsi lorsqu’ils sont mis côte à côte une peau fossilisée, minérale organique, presque vivante.