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7/11

Entretien d’Anne-Laure Chamboissier avec Anne Laure Sacriste -avril 2020

1- Qu’est ce qui a suscité chez toi l’intérêt pour ce lieu, et suite à ta première visite quels sont les éléments venus nourrir la genèse de ton projet sachant que la question de l’espace est essentiel dans ton travail ?.

Quand j’avais 14 ans ma mère a organisé un voyage avec ma correspondante anglaise autour des châteaux de la Loire. Azay-Le-Rideau était sur notre parcours. J’en garde un souvenir enchanteur, assez précis de l’arrivée depuis le Parc vers cette entrée un peu protégée qui ne se donne pas complètement à voir dès les premiers instants . Je ne sais pourquoi je rattache ce souvenir à une lecture d’adolescence du Grand Meaulnes, ce parc avec ces arbres somptueux qui invite à des fêtes secrètes. Trente cinq ans plus tard à la suite de ta belle invitation, j’y suis retournée. La magie de ce lieu demeure, ce mélange de raffinement, de motif élaborés baroques, sculptés dans cette pierre blanche immaculée crée un discret contraste. Cette tension à l ’œuvre silencieuse est celle que je cherche aussi dans mon travail .
Les nombreuses ouvertures du bâtiment démultiplient es points de vues en créant des perspectives et des liens imprévus entre certains espaces qui ont des fonctions définis, qu’ils finissent par perdre. On ne peut embrasser tout le Château d’un seul regard , il faut déambuler, se perdre afin d’en saisir l’essence, chacun à sa manière, selon sa propre histoire. L’espace agite la mémoire, ces allers et retours entre des repères spatiaux et des repères temporelles nous transportent ailleurs , peut être en nous même .

2- Tu interviens dans deux espaces distincts du château à l extérieur la chapelle et dans le vestibule à l intérieur. Pourrais tu nous décrire chacune de ces interventions, quel est le dialogue qui se crée entre ces deux espaces qui pourtant éloignés se font face ?

J’ai choisi ces deux espaces après pas mal de circonvolutions . Comment habiter ce château d’ Azay-le-Rideau, sans « le polluer » en ajoutant une énième strate, avec une nouvelle histoire, mais plutôt révéler un espace, faire surgir peut être une image pré-existante .
L’ensemble de ma proposition par ses gestes ténus, au contraire du spectaculaire, tente de jouer quelque chose de plus subtile qui dans sa radicalité amène le spectateur à une réflexion plus intime dans le rapport que nous avons chacun à être au monde .

A l’origine la Chapelle ne faisait pas partie du parcours, pourtant j’aimais qu’il y ait un contre point géographique à ce qui était montré à l’intérieur du bâtiment principale, dans le Vestibule à l’instar d une cartographie de l’exposition, une passerelle invisible. J’ai donc proposé d’ouvrir cette Chapelle. Une plaque de cuivre posée à quelques centimètres du sol, permettra un éclairage différent sur l’ensemble des murs en reflétant la lumière du soleil, et fera aussi apparaître sur le cuivre devenu miroir les voutes arc-boutants du plafond, et bien d autres choses encore. Des tortues, ainsi qu’un drapeau seront disposés, présences silencieuses et énigmatiques .
Dans le vestibule une tapisserie fait office d’image incertaine, changeante que le regard ne saisie jamais tout à fait .

3- Pour la Chapelle tu redonnes vie à un lieu d’une certaine façon qui jusque là était laissé à l‘abandon . Avec cette plaque posée au sol faisant office de miroir, de plaque photographique, tu révèles à la fois le lieu, mais ne laisses tu pas à voir également l’envers du décor ?

Cette Chapelle m’intéressait car elle avait été un peu oubliée . La dépoussiérer, décloisonner certaine partie obturée pour embraser la totalité de sa surface fut la première étape. Après cela on a pu y voir un peu plus clair. La deuxième étape est de poser une plaque de cuivre à quelques centimètres du sol, renverser la perspective afin de révéler ce qui est d’ordinaire caché, montrer une partie de cette architecture. C’est d abord un geste de sculpteur en référence direct à la sculpture minimaliste des années 60, mais aussi un geste de photographe, d’alchimiste. Les premiers daguerréotypes se faisaient sur des plaques, ce procédé consistait à fixer l’image positive obtenue dans la camera obscura sur une plaque de cuivre enduite d’une émulsion d’argent et développée aux vapeurs d’iode, permettant d’obtenir pour la première fois une reproduction directe et précise de la réalité .

4- Dans ton travail tu aimes à rejouer certains motifs qui appartiennent à la mémoire des formes collectives. Ici dans le vestibule, tu réalises pour la première fois une tapisserie, dont le motif choisi en est un de William Morris. Tu as souvent emprunté au vocabulaire de cet artiste, pourquoi ?

Tu le formule dans ta question, certain motif comme celui que j’ai choisi de William Morris appartient à la mémoire des formes collectives, d’une certaine manière, c’est un cliché, une forme admise, répertoriée qui me permet d’en faire une utilisation différente grâce à ce socle commun que nous partageons. De plus William Morris est considéré comme un des pères du Mouvement Arts &Crafts qui s’attèle à dé-hiérarchiser les catégories, notamment entre les arts appliqués et les Beaux arts . Il se trouve qu’avant d avoir passé mon diplôme aux Beaux Arts de Paris, j’ai effectué un BTS textile à Duperré . Cette question traverse mes recherches depuis toujours, le beau et le décoratif qu’on a tendance en France à opposer, alors que ce qui m’intéresse, c est bien cette porosité qui est à l œuvre .
Ce motif Blue Floral à été décliné a travers la peinture, le papier peint, un vitrail et maintenant une tapisserie. La question de la traduction d’une image d’un matériaux à un autre amène tout une réflexion sur l ’épiphanie et la différence de lecture de cette même image .

5- Par ce moiré de la tapisserie et la luminosité faible du vestibule ce motif est presque imperceptible à certain moment . Tu aimes à jouer souvent dans tes oeuvres d’une ambiguïté de l’image qui apparait et disparait. J’aimerais que tu m’en parles plus précisément.

Depuis toujours dans ma peinture je me pose la question de la durée. Combien de temps sommes nous prêt à consacrer à un tableau dans un Musée, 1 mn, 3mn . Lorsque vous regardez un film, une vidéo le temps vous est indiqué. Vous savez que vous en avez pour 60 mn, 20 mn peu importe. Un tableau cela peut être 30s et vous l’avez vu, mais qu’avez vous pu voir en 30 s ?. Je considère mes peintures (avec une matière iridescente, principe) comme des plaques sensibles autonomes qui selon l ’intensité de la lumière, le point de vue spatiale du spectateur varie et offre à celui-ci des impressions extrêmement différentes . Ainsi si vous restez une minute mais que vous reveniez à un autre moment l’apparition du tableau ne sera pas la même. Les peintures aussi ont leur humeurs car elles sont vivantes. En ce qui concerne précisément cette tapisserie elle oscille entre deux pôles présent dans mon travail l’idée du monochrome et du motif décoratif. Le moirage contribue à faire apparaître ou disparaître le motif au profit d’ un aplat .

6-Ton travail procède de différents agencements d éléments, est ce une façon pour toi d’amener le spectateur à déplacer son regard ?

Avant d’ installer des pièces, des objets in situ , je dois passer du temps dans l’espace . Il s’agit d’éprouver le lieu physiquement ,d’ en saisir les énergies avant de concevoir le projet . C’est de manière intuitive, et grâce au souvenir kinésthésique de mes premières impressions que les formes plastiques de l’ exposition vont apparaitre.
J’ai toujours en tête le tableau des Ménines de Velasquez qui part sa complexité dans son rapport a l’espace et motif met parfaitement et savamment en tension ces punctums . C’est ce que je cherche dans mon travail une sorte de lien invisible qui puisse jouer avec le lieu en en révélant certains aspects oublié ou disparu tels des fantômes qui invitent le spectateur dans un nouvel espace mental .