English | français
/ Accueil   / Focus _   / Entretiens  
Facebook
›››

1/11

Entretien d’Anne-Laure Chamboissier avec Valérie Sonnier

Réunis par Anne-Laure Chamboissier, commissaire artistique, une dizaine d’artistes, ont été invités à habiter des lieux* en Touraine du printemps à l’automne 2021 à la suite d’une résidence de création.
La thématique "Habiter le lieu" prend tout son sens en une période où chacun revoit ses modes de vie et les espaces qui l’entourent.
Les artistes réinterrogent ce qui constitue ces lieux, que cela soit à travers le prisme de leur histoire, de leur architecture ou de leur fonction. Ces oeuvres dessinent une nouvelle cartographie sensible du territoire via leur regard singulier posé sur ces lieux.

1- Tu as été invitée à réaliser un projet in situ au Château de Montrésor . Qu’est-ce qui a suscité chez toi l’intérêt pour ce lieu ?

J’ai tout de suite été enthousiaste à l’idée d’investir le Château de Montrésor. Mon intérêt a tout d’abord été suscité par la richesse de l’histoire de la famille qui se transmet le château depuis sept générations, ainsi que par la découverte lors de ma première visite de toute une partie « abandonnée » dont je n’avais pas soupçonné l’existence. Deux espaces coexistent : celui de l’étage laissé à l’abandon et la partie du château accessible au public, comme figé dans le temps. En effet, c’est l’un des rares châteaux de la région à être encore meublé comme à l’origine et tout visiteur s’y promenant peut aisément ainsi imaginer comment la famille y vivait il y a peu de temps. Ce contraste était parfait pour parler du temps qui passe, mais aussi plus précisément pour rendre hommage à celles et ceux qui ont constitué l’histoire de ce lieu,évoqué(e)s par la présence - dans mon film tout au moins - d’un fantôme, question récurrente dans mon travail. Dans un précédent projet filmique, Des pas sous la neige (exposé au Frac Île de France au Château de Rentilly dans le cadre de l’exposition Le Cabaret du néant), j’avais filmé la maison familiale avant de la quitter, puis vide de tout meuble et habitée par un fantôme. Son apparition symbolise aussi bien tous les esprits que les êtres ayant habité ces lieux.

2- Tu as séjourné en résidence au château à trois périodes. Comment ces temps sont-ils venus nourrir ton projet ?
Ces trois séjours m’ont permis de filmer et de photographier les intérieurs et extérieurs du château. Certaines idées de plans s’imposaient déjà dès la première visite mais beaucoup d’autres sont venues au fur et à mesure en passant du temps sur place. Je filme en super 8 et envoie mes films à Berlin pour le développement. Il se passe deux à trois semaines entre l’envoi et le moment où je peux voir les images. J’avais donc besoin d’espacer ces trois séjours pour filmer en fonction des résultats obtenus.

Je pensais à l’idée de l’or, du trésor de Montrésor (il existe une « salle du trésor » dans le château) et avais commencé des dessins en utilisant des pigments dorés. Finalement l’or est apparu en visionnant la version négative des films couleur, ce qui a déterminé ma façon de filmer pendant les deux derniers séjours. Parallèlement aux séances de prises de vues j’ai pu rencontrer des descendants du Comte Xavier Branicki. Ils ont généreusement accepté de répondre à mes questions, de me raconter l’histoire de la famille et de la Pologne et j’ai pu enregistrer des sons lors d’une soirée de Noël, occasion de retrouvailles familiales autour de chants polonais. L’installation sonore dans le projet Montrésor reprendra une partie de ces sons.

3- Montrésor se présente comme une vaste installation qui se déploie dans différentes pièces à l’intérieur du château. De quelle manière as-tu articulé ces multiples éléments dans l’espace : film, dessins, photographies, son… ?

Le film va être projeté dans une salle uniquement dédiée à la projection qui sera, selon l’envie, au début ou à la fin du parcours. Les dessins sont une présentation du décor, une série de vues extérieures du château. Un seul grand dessin ouvrira le parcours en répondant aux trophées de chasse qui ornent les murs de la salle à manger. Les photographies et les installations sonores viendront ponctuer le parcours, l’idée étant d’articuler les pièces in situ en gardant une certaine « légèreté de présence ».

4- Ce lieu est un lieu habité d’Histoire avec un grand H (celle de la Pologne et de la France) et celle intime d’une famille sur plusieurs générations à travers les objets et souvenirs qui meublent le château. Comment es-tu venue te glisser à l’intérieur de cela ? Est-ce une forme de nouveau récit que tu nous offres ? Et si oui quel est-il ? Ou participes-tu par ton intervention d’une sorte de re vivifiance de ce lieu ?

L’Histoire avec un grand H est effectivement très présente dans le château, à travers des peintures et des objets. Xavier Branicki acheta Montrésor en 1849 et en fit un refuge et un lieu de retrouvailles pour des générations de polonais.

Pendant la seconde guerre mondiale, Anna Potocka s’engagea à l’âge de 77 ans dans la résistance et joua un rôle important en accueillant au château les résistants et les juifs qui voulaient franchir la ligne de démarcation pour échapper aux nazis. J’ai aussi découvert la complexité de l’histoire de la Pologne en m’intéressant à Montrésor. Je n’ai pas choisi d’en faire l’axe principal du projet mais dans la salle de billard dans laquelle deux grands tableaux d’Histoire se font face, une pièce montrera les différents états du territoire polonais. Quant à l’histoire de la famille elle sera présente dans le film et dans l’histoire du fantôme. Des photographies viendront se mêler aux photographies de famille. L’histoire du château est aussi une histoire de femmes. Xavier Branicki en fit l’acquisition sur les conseils de sa mère. Anna Potocka évoquée précédemment a été une figure emblématique de la famille. Dans une des salles du château sont exposés exclusivement des portraits de femmes. J’y installerai une pièce qui évoquera la transmission grâce à la participation des trois filles de Georges et Geneviève Szerauc, la dernière génération des femmes de Montrésor. Pour répondre à ta question, je pense que l’histoire du fantôme introduit une forme de nouveau récit et surtout une nouvelle façon d’évoquer les personnages de cette famille. La revivifiance étant amenée par la présence des voix, des chants et des femmes de la dernière génération.

5- Dans ton travail, comme cela est le cas ici, la question de lier intimement mémoire individuelle et collective est quelque chose de récurrent. J’aimerais que tu m’en parles plus précisément.

Dans mes premiers films super 8 Le jardin et La plage j’insérais des passages extraits de films 8 mm filmés par ma grand-mère de mes frères et moi enfants. J’utilisais ces images de films de famille afin de provoquer les souvenirs et d’établir un lien à une mémoire collective de l’enfance. Pour le projet Montrésor, contrairement à ce que j’avais supposé, il n’existe pas (ou cela a été égaré) d’archives familiales filmiques. Le lien entre mémoire individuelle et collective se fera donc autrement. Il existe surtout par l’histoire de la famille, le rapport à l’exil et l’attachement au pays d’origine, aux racines, et par l’engagement d’Anna Potocka dans la résistance… survient alors pour nous la mémoire collective de la seconde guerre mondiale, celle que nous avons tous par les récits, les films, les images.
Quant à l’exil, si l’on s’attache à l’idée de l’importance des racines, nous avons tous des racines familiales dont nous nous sommes plus ou moins éloignés. Les films dans le jardin parlaient aussi de cela, de l’importance du lieu premier, celui où l’on a passé son enfance et dont on se souvient toujours. Enfin, l’utilisation de l’extrait sonore d’un film de 1942 pourra provoquer des souvenirs cinématographiques chez certains sans forcément être associés au film cité mais à l’ensemble du cinéma français des années 40 et d’après-guerre.