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6/11

Entretien d’Anne-Laure Chamboissier avec Guillaume Constantin

1- Tu as été invité à réaliser un projet in situ au château de Gizeux dans le cadre du projet de résidences « Habiter le lieu » . Quel intérêt as-tu trouvé à ce lieu ?
Je crois que la perspective d’intervenir au sein de ce château m’intéressait surtout dans le fait qu’il soit semi-public, accessible à la visite et chambres d’hôtes et en même temps un lieu de vie privé habité par une famille depuis des générations. Un contexte qui ne relève pas complètement de la mise en scène d’un endroit, mais qui est aussi chargé de souvenirs, de mémoires inconnues du public mais palpables d’une certaine manière.
Un autre point qui n’a pas tout à fait d’incidence dans mon projet pour le château mais qui me relie à Gizeux, est que mes grands parents sont enterrés là, mon grand-père ayant passé sa jeunesse dans le village. Il est là aussi question de souvenirs, de mémoires personnelles.

2- La proposition que tu fais à Gizeux s’organise autour de divers fragments d’objets (cartes, bustes, portraits iconiques…) exposés, dispersés, voire dissimulés dans différents espaces. Comment en as tu pensé l’organisation ?

Exposer dans un tel un lieu n’est pas si simple, entre la présence des fresques, du mobilier, des objets, comment rajouter des choses devient alors une vraie question. Un des points de départ pour penser ma proposition a été cette galerie de peintures murales récemment restaurée qui représente différents châteaux célèbres du XVIIe siècle. Ce petit ensemble m’a directement évoqué une série de reprises de « cartes sentimentales » que je fabrique depuis 2014 et qui datent sensiblement de la même époque de ces fresques.
Cette série de cartes me permet également d’introduire d’autres séries d’objets que je collectionne ou que je fabrique dans l’idée d’en déployer les caractéristiques, que ce soient des têtes et des bustes de la Renaissance italienne ou des portraits féminins sous forme de sweats-shirts par exemple. Des formes mises en parallèle, indexées tout en étant familières.
Ces éléments sont disséminés dans les parties visitables du château comme des objets décoratifs et l’ensemble des cartes se concentre dans un espace dédié qui pourrait être le commencement tout comme le point final de l’exposition.

3- Dans ce lieu se mêlent à la fois aux fresques, aux objets de collection historiques… les traces plus intimes de l’histoire familiale, quel statut, alors, jouent tes oeuvres qui viennent s’y glisser ? Nous invitent-elles, nous visiteurs à construire un récit à partir d’indices ? Et si oui de quel ordre serait ce récit ?

Les fragments que je propose agissent comme une cartographie de traces, de curiosités parmi d’autres, sous des formes parfois décoratives, parfois plus ambigües comme le serait un vêtement oublié ou une tête de remplacement d’une statue de Saint Martin. Les différentes natures de portraits féminins et les cartes sentimentales se font écho dans le mystère de la question du portrait et induisent un récit en creux à compléter exactement comme le proposent ces cartes évoquées précédemment.

4- Par le fait de placer ces objets dans une époque autre que l’époque à laquelle ils appartiennent, tu crées une situation anachronique. Mais cet anachronisme ne se révèle t-il pas plus dans l’artificialité des matériaux utilisés par leurs sujets même qui font écho au lieu ?

Oui, l’anachronisme se révèle en effet par le fait de travailler avec des outils numériques et des matériaux contemporains qui, évidemment, se confrontent avec le château et tout ce qu’il contient. Leur artificialité provient aussi sûrement de leur caractère de répliques. Ce qui m’intéresse surtout dans les procédés de reproduction, quels qu’ils soient, c’est qu’ils renvoient toujours à l’original qu’ils répliquent. La copie est par essence un support de questionnements, de discussions, de conjectures.

5- Tu conçois pour cette exposition un dépliant sous forme d’un index qui sera remis aux visiteurs. Ce document textuel est constitué de fragments de mots à l’instar des pièces fragmentaires qui viennent habiter le château. Quel rôle revêt-il ? Est-il là pour aider à la lecture générale ou pour compléter le propos même de l’exposition ?

En fait, ce dépliant vient redoubler un peu les objets présentés dans les différents espaces de manière textuelle principalement en signalant et indexant les matériaux, les histoires parfois invisibles qu’ils contiennent, dont ils sont issus ou constitués. Ce dépliant devient trace, mémoire à son tour de cette exposition. Il ressemble à une sorte de petit guide qui, à l’instar de ces cartes sentimentales, nous transmet quelques-uns des ingrédients d’un récit sans résoudre pour autant le fin mot de l’histoire.